La cocaïne et son cortège de violence coulaient le long des quais du Havre
Après les Pays-Bas et la Belgique, le port de Normandie apporte aussi tous les effets du trafic de cocaïne que l’on retrouve dans les conteneurs en provenance d’Amérique du Sud : violence, menaces et corruption s’abattent sur les dockers.

Cette photo d’archive prise le 23 octobre 2017 montre une vue générale des conteneurs à Port 2000 au Havre, dans le nord-ouest de la France. – Le Havre est l’un des cinq grands ports à conteneurs d’Europe du Nord. Et son grand terminal de fret où la Seine rencontre la mer est devenu le principal point d’entrée de la cocaïne en France.
Charly Triballeau/AFP
Ce lundi d’octobre, les trafiquants n’ont même pas pris la peine de ramener le navire. Ils l’ont pris au port français du Havre, posé sur le bord de la route et fracturé. Il est ensuite vidé de ses objets de valeur et incendié, avant d’être nettoyé.
“Des témoins ont vu plusieurs hommes courir avec des sacs de sport, probablement remplis de cocaïne, sans doute”, a commenté un policier. “Habituellement, ils ramènent le conteneur qu’ils ont vidé au port, dit désolé, nous nous sommes trompés. Là, ils ont tout laissé là-bas.”
Deux semaines plus tôt, des personnes ont fait une descente dans l’entrepôt d’un transitaire dans la ville du nord-ouest de la France. Devant les employés surpris, ils ont pris plusieurs sacs dans un conteneur et se sont enfuis. Sûrement le “blanc”, là aussi.
Parfois, ces “livraisons” tournent mal. En avril dernier, une équipe qui transportait un camion chargé de drogue depuis le port a rencontré les policiers qui s’apprêtaient à les intercepter. Les hommes de la PJ (police judiciaire française) ouvrent le feu et se lancent à leur poursuite. L’un des fugitifs a été arrêté.
“C’est arrivé en plein jour, en plein trafic”, fulmine le “policier” du Havre. “Le trafic génère tellement d’argent que ses petites mains n’hésitent pas à prendre tous les risques.” Ces scènes dignes d’un « polar » se sont multipliées ces derniers mois autour du port du Havre.
A l’embouchure de la Seine, sa queue est devenue le premier point d’entrée de la cocaïne sud-américaine en France. En 2021, ils ont saisi 10 tonnes des 3 millions de conteneurs – ou “boîtes” – qui y passaient.
Plus de 164% en un an, un record absolu.
“Ville infranchissable”
Comme partout en Europe, l’explosion du flux de cocaïne a attiré des criminels de tous calibres au Havre, attirés par l’énorme butin offert par les mafias qui gèrent le trafic.
La corruption, les menaces et la violence sont apparues dans le port. Ils ciblaient principalement ses 2 200 dockers, devenus les cibles privilégiées des trafiquants.
Sous la bannière du syndicat CGT, ils règnent en maîtres parmi les grues géantes et les montagnes de conteneurs multicolores. “N’entrez pas dans le port du Havre qui veut”, décrit un policier de l’AFP “donc pour faire sortir la drogue, les trafiquants ont besoin de complicité, d’abord parmi les dockers”.
Ces dernières années, les noms de certains d’entre eux sont apparus en bonne place dans le casting de PJs. Plusieurs ont été condamnés à des peines de prison pour “collaboration” avec les trafiquants.
L’un d’eux a raconté à son avocat la spirale infernale : « Avant, je récupérais des cartouches de cigarettes ou de parfums pour les revendre. Cela me rapportait 200 à 300 euros par mois. Un jour, des gars nous ont demandé de prendre des sacs. 1 000 euros par sac. Ça a commencé comme ça…”
L’enquête a été menée après qu’une crise en 2017 a permis de dresser un barème des tarifs proposés par les “narcos”: 10.000 euros pour emprunter un badge d’accès, 50.000 euros pour déplacer un navire, jusqu’à 75.000 euros pour “permettre” d’en sortir. . .
Équipement fatal
“Certains dockers donnent pour le profit, la plupart le font sous la menace et la pression”, explique l’avocate havraise Valérie Giard, qui défend plusieurs d’entre eux.
“Les trafiquants vont les voir après l’école ou au café, leur montrer des photos de leurs familles, donner des détails sur leurs activités et ensuite leur dire. vous le faites, ou vous aurez des ennuiss », a poursuivi M. Giard. “Quand ils mettent leurs doigts dans la circulation, ils ne sortent pas.”
Ceux qui résistent au “buffering”, dans le jargon policier, ont droit à des méthodes plus radicales.
En juin 2018, Pierre (prénom changé) a été enlevé près de chez lui. Il a été retrouvé quelques heures plus tard le visage enflé, le mollet percé d’un tournevis.
Ce docker de 54 ans a confié à la police que ses ravisseurs lui réclamaient plusieurs millions d’euros avec cet argument : « Tu es un type formidable, on sait où tu travailles, tu peux t’en sortir. boîte…». Deux informateurs ont dit plus tard aux enquêteurs qu’il avait “refusé de travailler” pour un trafiquant.
Depuis 2017, une vingtaine de dockers havrais ont été enlevés et séquestrés, selon les autorités.
Certains ne sont pas des trafiquants, d’autres sont de petits voyous sur la simple supposition qu’ils “broyent” le trafic. “L’enlèvement d’agents portuaires est devenu le grand sport local”, soupire Valérie Giard.
Peur sur les quais
Au moins une fois, l’enlèvement s’est transformé en tragédie. Le 12 juin 2020, le corps d’Allan Affagard est retrouvé mort derrière une école de la banlieue du Havre.
Ce grand barbu d’une quarantaine d’années n’est pas un inconnu. Docker et le fort syndicat CGT, il a été accusé deux ans auparavant, on le soupçonne d’avoir facilité la libération d’une tonne de bonne cocaïne. Il l’a toujours nié.
Selon le témoignage de sa femme à la police, Allan Affagard a été enlevé la veille par trois hommes cagoulés. Il venait de porter plainte après avoir reçu des “messages menaçants”.
Trois personnages connus de la communauté havraise ont été accusés d'”association de malfaiteurs”, mais les meurtriers du docker sont toujours en fuite.
Dans la ville, sa mort a fait souffler un vent de peur.
“La presse a vu dans cette affaire qu’il y a de la violence sur nos côtes”, a déclaré Guillaume Routel, l’un des avocats “préférés” des dockers du Havre. “C’est certes exagéré, mais tous les secteurs de la manutention portuaire se sentent en danger.”
Blottis contre les hautes rambardes qui protègent les piles de conteneurs déchargés sur le port, les barreaux des immeubles et les petits pavillons du quartier historique des dockers, la neige, ils sont murés dans le silence.
La CGT n’est guère plus bavarde. Le syndicat s’est débarrassé de quelques pommes pourries. Mais il refuse d’aborder les affaires en public et impose le silence dans ses rangs.
Alain Le Maire, délégué CGT, douanier du Havre, a déclaré : « Tout le monde est inquiet au port. » Des trafiquants nous observent avec des jumelles ou des drones. Désormais, quand on contrôle un navire, il est protégé par des collègues armés d’assaut. fusil.
“haute pression”
Depuis “l’électrochoc” d’Affagard, la sécurité des quais a été sérieusement renforcée, sous la pression de l’Etat.
“La sûreté et la sécurité sont au cœur de nos préoccupations”, assure la direction du port, qui a engagé plus d’un million d’euros pour s’équiper de nouvelles caméras, renforcer son système de badges et renforcer ses effectifs dans les gardes. .
Mais le trafic continue de croître. Au moins 8,5 tonnes de “coca” ont déjà été saisies au Havre en 2022, a calculé un policier.
“Des progrès ont été faits mais il ne faut pas se mentir, le port reste un Van”, grommele un douanier sous couvert d’anonymat. “Toutes les caméras du monde ne pèseront pas lourd face à la détermination des trafiquants.”
“Aujourd’hui, il y a moins de complicité entre les dockers. Ils ont compris qu’ils jouaient avec plus fort qu’eux”, a souligné le policier. “Mais la pression reste énorme et elle vise tous les acteurs portuaires. Si nous n’y prenons garde, nous pourrions tomber dans la même situation qu’à Anvers ou Rotterdam.
Le scénario est cool. Aux Pays-Bas, la “Mokro-mafia” d’origine marocaine est soupçonnée d’avoir exécuté un journaliste et un avocat un peu trop curieux. En Belgique, il n’a pas hésité à menacer le garde des sceaux.
“La situation peut se dégrader ici aussi”, a reconnu le procureur du Havre, Bruno Dieudonné.
« Pour l’instant, le trafic ne perturbe pas la vie du Havre. Mais les fusillades d’avril et les enlèvements marquent les esprits, poursuit le bourgmestre. « On n’est pas encore dans les attentats à l’arme lourde comme à Anvers, mais le danger est là. en attendant.”
AFP
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