Les références à la notion de sobriété énergétique en temps de guerre en Ukraine et dans le contexte du changement climatique abondent dans la bouche de nos dirigeants. Comme discuté dans les médias, la sobriété sonne comme un sacrifice temporaire et nécessaire.
Cependant, la sobriété peut aussi être un mode de vie intime et joyeux, puisqu’elle consiste à placer le bien, la liberté et le bonheur au centre de notre quête existentielle. C’est là que la perspective du bien commun peut être d’une grande aide. Sandrine Frémeaux voit la recherche du bien commun comme un cheminement personnel, un tâtonnement qui peut nous aider à mieux vivre… et travailler.
Dans son livre “Entreprise et Bien Commun”, dont The Conversation France publie ici les “Bonnes Fiches”, l’auteur nous invite à créer ou rejoindre une communauté de travail dans laquelle nous pourrons essayer de répondre aux besoins de la société et en même temps le temps de satisfaire notre désir le plus profond.
Le bien commun, un nouveau récit du monde du travail
Un bien commun, ces mots résonnent dans certains discours des dirigeants politiques et organisationnels d’aujourd’hui. A l’heure où le monde est plongé dans une crise politique, économique, sanitaire, écologique et sociale, le bien commun semble pouvoir nous libérer des tentations de notre époque globalisée : la financiarisation parfois extrême de l’économie, la mise au point A sur la communication, la puissance des lobbies, la vision exclusivement amélioratrice de l’innovation et du numérique, et de manière non anecdotique tous les discours bien intentionnés que nous connaissons par expérience occultent la réalité plus qu’ils ne l’altèrent. Ces stimuli nous font penser l’entreprise sans l’être humain, sans sa fragilité et son besoin de sens, et même sans le travail.
Dans les ténèbres du monde néolibéral, le bien commun pourrait bien être la chandelle qui allume les flambeaux de la prise de conscience que les hommes et les femmes doivent inventer une autre histoire, une histoire différente de celle dont nous avons hérité et que nous reproduisons, une histoire que quelque chose nous donne la force et la volonté de se sentir humain. Comme le précise Cyril Dion dans son Petit manifeste de la résistance contemporaine :
“Il ne s’agit pas de ‘Faire quoi?’ demander. ou “Faut-il agir individuellement ou par des mobilisations politiques de masse ?” mais : “Dans quelle perspective globale, dans quels récits collectifs s’inscrivent nos actions, aussi minimes soient-elles ?” Car si nos actions quotidiennes se limitent à soulager notre conscience , s’ils restent prisonniers du récit qui domine nos sociétés, ils n’ont aucun potentiel de transformation. Pire, ils peuvent maintenir la logique qu’ils prétendent combattre.
Le bien commun pourrait bien être cette perspective alternative dont l’humanité a besoin pour sortir des pièges du système économique existant. Il ne véhicule pas une image critique et négative de l’économie. Il n’est ni un contre-pouvoir ni un pouvoir modérateur. Il a plutôt une vision positive et constructive de la politique, mais aussi de l’économie, qu’il considère comme un instrument nécessaire du développement humain.
Mais l’apport principal du concept de bien commun ne s’arrête pas là ; elle est aussi d’une tout autre nature : la perspective du bien commun peut représenter un guide pratique, plus personnel, peut-être même spirituel, qui nous invite à reconsidérer nos activités au service d’orientations supérieures.
C’est ma suggestion : Le bien commun comme aide au questionnement éthique pour tous ceux qui ont une agence dans les organisations. Puisant en partie mes ressources dans la réflexion académique internationale sur l’éthique des affaires, j’observe que cette vision peut surprendre car loin du bien commun en fournissant des recettes toutes faites pour devenir plus heureux ou plus performants au travail. Au lieu d’hédoniser ou d’instrumentaliser le travail, la perspective du bien commun nous montre certaines facettes de la réalité négligées par l’idéologie dominante et propose d’écrire un nouveau récit sur le monde du travail.
Certes, de nombreuses entreprises utilisent le concept de bien commun sans rien changer à leurs décisions économiques et stratégiques. Mais je pense que la perspective du bien commun peut être un guide qui transforme les entreprises jusque dans leur fonctionnement (et pas seulement pourquoi elles se manifestent), à condition qu’elles s’enracinent dans une réflexion éthique que nous proposons Partager les grands axes ici.
sobriété dans l’expérience du bonheur
Les difficultés économiques aggravées par l’épidémie de Covid-19 peuvent inciter les travailleurs au chômage ou en situation précaire à se concentrer sur la recherche d’un emploi, qu’il ait ou non du sens pour eux. En temps de crise, ils peuvent être amenés à accepter des offres d’emploi qu’ils n’auraient pas acceptées dans un environnement plus favorable. Ils se concentrent davantage sur la recherche d’un emploi pour survivre matériellement et peuvent renoncer à trouver un sens à leur travail.
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On peut également observer que les salariés ayant des emplois stables accordent parfois plus de valeur à la stabilité de leur emploi et à l’évolution de leur carrière qu’à leur propre bien-être. Les individus en situation de précarité peuvent rechercher une plus grande sécurité d’emploi, quitte à jouer le jeu de la réussite sociale et financière qui n’est pas forcément leur souhait. En s’abstenant de choisir ou de changer de travail en fonction de ses valeurs ou de ses aspirations, les individus peuvent s’engager dans des activités qui ne produisent ni sens ni bien-être. S’il nous arrive de constater que la recherche de la sécurité peut affecter notre bien-être, nous ne nous demandons pas nécessairement ce qu’est le bien-être, notamment le bien-être au travail.
Dans notre approche du bien commun, le bien-être au travail ne s’analyse pas comme un bien-être hédonique, qui résulte de la prépondérance des émotions positives sur les émotions négatives, mais comme un bien-être eudémonique, qui survient lorsque l’individu donne du sens à sa vie. Le bien-être hédonique est rapidement mis à mal lorsque les désirs apparents ou superficiels ne sont pas satisfaits.

Nouvelle ville, 2022
D’autre part, comme nous l’avons déjà vu, le bien-être eudémonique comme source de développement moral produit une joie authentique qui peut être renouvelée lorsque nous agissons conformément à nos aspirations les plus profondes. Cette joie est plus résiliente que les joies hédoniques car elle ne disparaît pas définitivement en cas d’épreuves, mais peut être ravivée par des actions qui vont dans le même sens. Contrairement au plaisir hédonique, ce plaisir n’est pas incompatible avec la frustration, la tristesse ou la colère. Et même lorsqu’il est subverti dans les moments les plus difficiles de notre vie, il continue à paraître faible du souvenir de certaines rencontres ou de certaines expériences.
Ainsi, le bien commun résulte de l’harmonie entre nos aspirations profondes et nos actions, et peut se renouveler en faisant des choix qui correspondent à nos aspirations pour le bien commun. Plutôt que de décrire les sacrifices du bien-être hédonique, la perspective du bien commun nous invite à réfléchir sur le bonheur eudémonique qui résiste aux épreuves.
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En d’autres termes, si les épreuves nous obligent à renoncer à des plaisirs hédoniques comme l’argent, le pouvoir ou certains plaisirs futiles, elles peuvent au contraire renforcer notre volonté de vivre un bien-être eudémonique, c’est-à-dire conforme à notre éthique la plus profonde. aspirations.
Ainsi, les périodes de précarité ou de recherche d’emploi ne sont pas forcément incompatibles avec une réflexion sur le bien-être au travail. Le bien-être recherché n’est plus un plaisir hédonique, mais une joie plus profonde alliée à une orientation durable. Il se peut même que la recherche du bien commun, en pointant l’utilité sociale de certaines professions dévalorisées par rapport à d’autres professions pourtant plus prestigieuses, invite à vivre non seulement une sobriété heureuse, c’est-à-dire une source potentielle de joie, la sobriété justement décrit par le pionnier de l’agroécologie Pierre Rabhi, mais aussi la sobriété dans l’expérience du bonheur, c’est-à-dire la primauté du bonheur eudémonique sur le bonheur hédonique.